Pour comprendre comment le département des Hauts-de-Seine évolue, on s’est attaché à étudier la place des cadres et professions intellectuelles supérieures dans ses différentes communes. Dans nos économies modernes, cette catégorie professionnelle prend une place de plus en plus importante. Elle a tendance à se concentrer dans les métropoles. Cette analyse montre que le département des Hauts-de-Seine est particulièrement concerné par cette dynamique qui influe sur la transformation urbaine.

Une spécificité des Hauts-de-Seine

De plus en plus, l’installation de cadres et professions intellectuelles supérieures c’est-à-dire des ménages ayant, en général, un pouvoir d’achat important contribue fortement à l’augmentation de la population des Hauts-de-Seine. Pour le mesurer, on s’appuiera sur les données des recensements qui permettent de connaître l’évolution du nombre de personnes actives résidant dans chaque commune, dont l’activité permet de les classer dans la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures.

Dans le texte, on désignera la catégorie sociale des cadres et professions intellectuelles supérieures par l’acronyme CPIS [1] (pour catégories professionnelles les plus aisées). On prendra comme élément de comparaison la population des « 15 ans et plus » pour apprécier la part que les CPIS prennent dans les évolutions des populations dans chaque commune.

Cette prépondérance des CPIS  semble se renforcer comme les chiffres du tableau A le montrent: pour chacune des périodes mentionnées, l’évolution de la population des CPIS est dominante. Cette tendance va-t-elle se poursuivre ? Les prochaines publications des recensements permettront de le mesurer. Ceci sera suivi avec attention par l’Observatoire.

Tableau A –  Evolution entre deux recensements des populations dans les Hauts-de-Seine

Période Population des 15 ans et plus
dans le 92
(1)
Population des CPIS
dans le 92
(2)
(2)/(1)
1999-2007 +89165 +76994 86%
2007-2011 +25423 +22439 88%

Source : INSEE

Le département des Hauts-de-Seine partage avec Paris un fort pouvoir d’attraction des CPIS. C’est même une caractéristique ancienne. Si on observe la répartition  des CPIS dans les différents départements qui composent la région Ile-de-France depuis un demi-siècle (tableau B), on observe qu’en 1968, Paris et le 92 concentraient les 2/3 des CPIS. En 2011, ces départements en logent encore un peu plus de la moitié. La prédominance de Paris est en recul, mais les Hauts-de-Seine gardent quasiment inchangée leur part. Ceci est d’autant plus remarquable que les autres départements, notamment les Yvelines, en captent une proportion croissante,  principalement au détriment de Paris.

Tableau B – Répartition des CPIS dans les départements de l’Ile-de-France

1968 1982 2012
Paris 44% 37% 33%
Hauts-de-Seine 22% 20% 19%
Seine-Saint Denis 6% 7% 6%
Val-de-Marne 11% 10% 10%
Essonne 6% 10% 8%
Yvelines 3% 3% 13%
Val d’Oise 5% 7% 6%
Seine et Marne 3% 6% 7%
100% 100% 100%
Ensemble des CPIS en IdF 382000 633000 1651000

Cette importance se traduit logiquement par le fait que Paris et les Hauts-de-Seine sont les départements où la proportion des CPIS au sein de leur population est la plus importante et de loin : à Paris, plus du quart de la population est CPIS.

Tableau C – Part de CPIS dans la population des 15 ans et plus en 2012 dans des départements

 

Paris Hauts-de-Seine Yvelines Ile-de-France France métropolitaine
Part de CPIS dans la population des 15 ans et plus en 2012 27,7% 23.5% 18.3% 17.3% 7.1%

 

Cette particularité des Hauts-de-Seine s’explique en partie par sa position géographique. Ce département se trouve entre trois grands bassins d’emploi qui concentrent ces professions  (pour ne citer que les principaux) :

  • Paris avec ses nombreuses fonctions de tertiaire supérieur
  • la Défense qui concentre des sièges sociaux et des banques
  • Saclay avec ses 130 000 cadres scientifiques

On peut penser que cette situation non seulement va perdurer mais probablement se renforcer comme le suggère le rapport de France Stratégie sur les métiers en 2022 [2].

 

 

La conséquence de ceci est extrêmement importante pour la dynamique urbaine. En effet, pour simplifier, on peut dire que le marché de l’immobilier est dominé par les populations actives sur ce marché c’est-à-dire par celles qui viennent s’installer dans le département soit parce qu’elles louent un logement libre soit parce qu’elles achètent un logement neuf ou non.

Ainsi, tout naturellement, les promoteurs immobiliers auront tendance à positionner leurs offres pour cette population. De même les bailleurs privés pourront espérer augmenter leur loyer pour des ménages capables de mieux les payer.

Si la dynamique urbaine est régie principalement par les forces du marché, on peut penser que, progressivement, cette spécialisation des Hauts-de-Seine va se renforcer.

 

Tel est le diagnostic global que l’on peut poser pour les Hauts-de-Seine dans leur ensemble. Mais, comme on le sait, ce département n’est pas homogène : il est intéressant d’analyser ce qui s’est passé dans le détail , c’est-à-dire au niveau des communes.

 

Les CPIS étaient au nombre de 192 000 en 1999 et , en 2012, 306 000 soit 60% de plus.

Comment cette population s’est-elle répartie dans les différentes communes des Hauts-de-Seine ? Pour le voir, on va examiner, dans un premier temps, comment a évolué le poids de cette catégorie au sein de chaque commune. Ensuite, on donnera des indications sur la  part prise par l’arrivée de ces populations nouvelles dans l’accroissement global du peuplement de chaque commune.

Dans toutes les communes du département, l’importance des CPIS s’accroît.

En calculant, pour les deux années 1999 et 2011, le rapport entre la population des CPIS  et la population des 15 ans et plus dans chaque commune, on dispose de deux taux, l’un pour 1999, l’autre pour 2011. Leur comparaison permet de savoir si la présence relative  (leur poids) des CPIS s’est accrue ou non.

Le graphique A montre que, dans toutes les communes du département, l’importance des CPIS s’accroît.

En effet, les points qui représentent les 36 communes sont toutes au-dessus de la ligne, ce qui signifie que leur taux de 2011 est supérieur à leur taux de 2009.

En 1999, une seule commune avait un taux égal au taux actuel de Paris soit 28%. En 2011, on compte 11 communes qui ont atteint ou dépassé ce taux, le record étant actuellement détenu par Saint-Cloud (32%).

Certaines communes ont connu une progression que l’on peut qualifier de légère ; ce sont celles qui sont proches de la diagonale du graphique A. Il s’agit principalement de Gennevilliers, Villeneuve-la-Garenne, Nanterre, Châtenay-Malabry, Fontenay-aux-Roses.

D’autres ont connu une forte progression. On les trouve sur la partie supérieure du nuage de points. On peut citer le Plessis-Robinson, Montrouge, Puteaux, Levallois-Perret, Saint-Cloud.

Les communes qui avaient les plus faibles taux de CPIS (<10 %) en 1999 ont toutes un taux de progression supérieur à la moyenne départementale (36%), avec de grandes variations d’une commune à l’autre (voir tableau D).

Tableau D – Evolution de l’importance des CPIS dans les communes du 92 qui en ont le moins

Proportion

de CPIS

en 1999

Proportion

de CPIS

en 2011

Taux

d’accroissement

Bagneux 8% 11% 39%
Clichy 9% 16% 71%
Colombes 10% 16% 56%
Gennevilliers 3% 6% 88%
Nanterre 9% 13% 48%
Villeneuve-la-Garenne 4% 7% 68%

Graphique A

GraphiqueA

Même sur cette courte période étudiée, on peut observer que les communes du 92 ont eu des capacités « d’attraction »  différentes (cf tableau E) : presque toutes les plus petites ont vu leur part reculer. Les plus grandes ont eu des évolutions différentiées : Neuilly-sur Seine et Boulogne-Billancourt perdent du terrain, Courbevoie et Issy-les-Moulineaux en gagnent nettement.

Tableau E – Evolution de la répartition des CPIS dans les différentes communes du 92

Les dix communes
ayant la part
la plus faible
Part des CPIS
de chaque commune
en 1999
Evolution de
cette part
entre 1999 et 2011
Les dix communes
ayant la part
la plus élevée
Part des CPIS
de chaque commune
en 1999
Evolution de
cette part
entre 1999 et 2011
Villeneuve-la-Garenne 1,5% 0,1% Boulogne-Billancourt 7,6% -0,9%
Fontenay-aux-Roses 1,5% -0,5% Courbevoie 5,6% 0,7%
Sèvres 1,5% -0,4% Nanterre 5,5% 0,2%
Bourg-la-Reine 1,3% -0,2% Colombes 5,2% 0,4%
Sceaux 1,3% -0,5% Asnières-sur-Seine 5,2% 0,6%
Chaville 1,2% -0,2% Rueil-Malmaison 5,0% -0,3%
Garches 1,1% -0,3% Issy-les-Moulineaux 4,2% 0,8%
Ville-d’Avray 0,7% -0,4% Levallois-Perret 4,1% 0,1%
Vaucresson 0,5% -0,1% Neuilly-sur-Seine 4,0% -1,3%
Marnes la Coquette 0,1% 0,0% Antony 4,0% -0,3%

La première carte permet de résumer ces différents résultats.

L’importance des CPIS dans chaque commune est représentée par des couleurs différentes :

  • le jaune pour les 9 communes ayant une proportion de CPIS <20 %,
  • le bleu pour les 7 communes qui ont une proportion de CPIS comprise entre 20 et 27 %,
  • le rouge pour les 10 communes qui ont une proportion de CPIS> 27 %.

 

Ces couleurs sont plus ou moins foncées selon le taux de progression de la part des CPIS entre 1999 et 2011.

  • l’intensité la plus faible représente les 9 communes dont le taux de progression est inférieur à 25 %,
  • l’intensité moyenne est destinée aux 13 communes dans le taux de progression est compris entre 25% et 50%,
  • l’intensité la plus forte pour les 6 communes dont le taux de progression est supérieur à 50%.

On voit ainsi comment se joue la diffusion progressive des CPIS dans le département.

L’arc Levallois – Issy-les-Moulineaux continue d’être très attractif avec quelques disparités : Puteaux se singularise avec une concentration de plus en plus grande tandis que Neuilly, Vaucresson, Sèvres, Ville-d’Avray marquent le pas.

Le sud du 92 avec Fontenay-aux-Roses, Sceaux, Bourg-la-Reine et Châtenay-Malabry ont eu des progressions faibles.

Le nord du département a vu des taux de progression très importants mais il part de loin.

OPML92_CPIS

Plus de la moitié des communes du 92 ne s’accroissent que par l’arrivée de CPIS

Toutes les communes ont vu leur population augmenter ces vingt dernières années. Cela n’a pas toujours été vrai : après 1968, on a observé une décroissance de la population, en partie liée au départ des jeunes. Le département des Hauts-de-Seine comptait 1 461 619 habitants en 1968 et seulement 1 391 658 en 1982. Aujourd’hui (2011), il en compte 1 581 628.

Quelle est la part prise par les CPIS dans cet accroissement ?

Pour y répondre, on va comparer l’évolution entre 1999 et 2011, dans chaque commune :

  • du nombre des personnes ayant 15 ans et plus
  • du nombre de personnes appartenant à la CPIS.

La comparaison porte sur les variations de ces nombres. Il s’agit de stocks et non de flux : on ne sait pas dire quelle est la nature de ces évolutions.

Ainsi, la croissance du nombre de CPIS peut-être due à plusieurs choses :

  • des habitants de la commune qui ont eu une évolution professionnelle et sont devenus CPIS,
  • des CPIS qui sont venus habiter dans la commune.

À l’inverse, une décroissance peut correspondre à :

  • un habitant CPIS de la commune qui a changé de catégorie (par exemple qui est devenu entrepreneur),
  • un habitant CPIS de la commune qui est allé vivre dans une autre commune ou qui est décédé,
  • un habitant CPIS de la commune qui est devenu retraité.

Si l’accroissement du nombre de CPIS est supérieur à l’accroissement des 15 ans et plus, on dira que les communes sont fortement enrichies en CPIS, dans le cas contraire, elles sont dites moyennement enrichies en CPIS. Le graphique B permet de visualiser comment se répartissent les communes et quel est l’ampleur de ces évolutions. La ligne en trait plein permet de les distinguer.

19 communes peuvent être considérées comme fortement enrichies en CPIS pendant la période 1999 – 2011. Dans ces communes, l’accroissement de la population âgée de 15 ans et plus est non seulement réalisé par l’apport de CPIS mais aussi par la diminution d’autres catégories.

Quelques villes se détachent : Antony, Puteaux, Meudon et Saint-Cloud. Il faudrait analyser plus finement pour savoir quelles sont les catégories qui reculent dans chaque cas.

17 communes ne se sont que moyennement enrichies en CPIS. Cela veut dire que, dans l’augmentation de la population des 15 ans et plus, il y a toujours une proportion importante, majoritaire presque toujours, des CPIS mais qu’il y a des apports d’autres catégories sociales. On a tracé sur le graphique une ligne en pointillés qui séparent les villes pour lesquelles la proportion de CPIS est supérieure aux deux tiers (66%) de celles pour laquelle cette proportion est moindre. Parmi ces dernières, on peut énumérer :

Châtenay-Malabry 63 %, Clichy 56 %, Courbevoie 58 %, Issy-les-Moulineaux 66 %, le Plessis-Robinson 65 %, et Villeneuve-la-Garenne 30 %.

Graphique B

GraphiqueB

Pour conclure, on voit que cette analyse apporte un éclairage, partiel, de la dynamique socio-démographique du 92 mais que cela est suffisamment important et significatif pour le détailler.

Toutes ces données sont relatives à la première décennie de ce siècle. Peut-on penser que les tendances observées se poursuivent actuellement ? Il est vraisemblable que oui. C’est un des points que l’Observatoire examinera chaque année.

Va-t-on assister à une spécialisation croissante des territoires avec une concentration de plus en plus forte des CPIS dans certaines villes ? Au contraire, une tendance à plus de mixité sociale va-t-elle l’emporter ? Cela laissera-t-il de  « l’espace » pour les populations les plus modestes ? Comment ?

Une partie de la question du mal-logement trouvera sa réponse dans la manière d’organiser ces évolutions.

[1] La catégorie des CPIS regroupe :

  • des professeurs et professions scientifiques salariés qui appliquent directement des connaissances très approfondies dans les domaines des sciences exactes ou humaines, à des activités d’intérêt général de recherche, d’enseignement ou de santé
  • des professionnels de l’information des arts et des spectacles dont l’activité est liée aux arts et aux médias
  • des cadres administratifs et commerciaux d’entreprise, salariés qui ont des responsabilités importantes dans la gestion des entreprises
  • des ingénieurs et cadres techniques d’entreprise, salariés exerçant des fonctions de responsabilité qui nécessitent des connaissances scientifiques approfondies

c’est à dire :

  • des professions libérales et assimilées
  • des cadres de la fonction publique, professions intellectuelles et artistiques
  • des cadres d’entreprises

  

[2] Rapport du groupe Prospective des Métiers et qualificative- Avril 2015- France Stratégie- DARES voir page 147

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