Le souci de connaître les situations d’exclusion du logement date de plus d’une vingtaine d’années. En 1993, un groupe de travail intitulé « sans-abri » avait été initié au sein du CNIS (Conseil National de l’Information Statistique) pour disposer d’informations fiables sur les exclus du logement, eux-mêmes étant exclus des outils statistiques classiques.
Un rapport rendu au terme de trois ans de travaux avait introduit une approche reposant sur quatre dimensions pour rendre compte des situations de logement ou d’exclusion du logement :
- le type d’habitat,
- le statut d’occupation,
- la qualité du logement,
- la stabilité/précarité (au sens temporel, c’est-à-dire la garantie qu’on peut
avoir de demeurer dans son logement au-delà d’une certaine durée).
Ces dimensions étaient indépendantes des caractéristiques du ménage, notamment sa composition et ses revenus. Elles ne prenaient pas en compte l’environnement du logement et sa localisation ainsi que l’accès aux services (école logement transports ) et à l’emploi.
Cette première approche avait permis, avec le concours de l’INED, la mise au point d’une enquête pionnière sur les sans-domicile, réalisée pour la première fois en 2001 et renouvelée en 2012 .
Le terme de « mal-logement » a été créé en 1995 par la Fondation Abbé-Pierre pour rendre compte des difficultés de logement auxquelles étaient confrontées les personnes défavorisées Il n’était alors pas imaginable que le phénomène prendrait l’ampleur qu’on lui connait aujourd’hui. Année après année, le mal-logement s’est diversifié dans ses formes et ses manifestations et touche des catégories de personnes de plus en plus larges. car il ne renvoie plus seulement à toutes les personnes sans domicile ou vivant dans des logements inconfortables (comme c’était le cas dans les années 1950) — même si ces situations sont malheureusement toujours très présentes. d’autres problématiques sont apparues au cours des 15 dernières années, sous l’effet de la flambée des coûts du logement et de la précarisation des ressources des ménages (chômage, temps partiels subis, cdd, intérim…) : dans ce contexte nouveau, de plus en plus de ménages, y compris parmi les couches intermédiaires et les classes moyennes, sont en difficulté pour accéder à un logement, pour s’y maintenir, ou pour en changer au cours de leur vie. La Fondation a alors présenté annuellement un tableau de bord du mal logement qui est devenu une référence.
Cette approche n’est pas sans interroger le système statistique public pour deux raisons : – – la notion de mal-logement qui s’est imposée dans le débat public ne reposait pas sur un accord concernant la façon de décrire les situations de logement ni les contenu des définitions existantes ; de plus les outils statistiques n’étaient pas adaptés pour répondre à ces questionnements…
Un nouveau groupe de travail du CNIS sous la présidence de Marie-Thérèse Joint-Lambert intitulé « Mal-logement » a re-travaillé pour tenter des clarifier les concepts et de faire des propositions d’améliorations du système statistique public. Ce travail a permis d’élargir les dimensions évoquées plus haut par le groupe de travail « sans-abri » à d’autres comme l’adéquation du logement aux caractéristiques des ménages ou encore à son environnement.
Il conclut qu’il n’y a pas de définition scientifique du mal logement. Pour le système statistique il s’agit de décrire au mieux les situations de logement. « On ne tranchera pas parmi ces situations pour dire lesquelles sont à considérer comme des « difficultés de logement » ou du « mal-logement », ceci d’autant plus que la définition peut en être variable selon le lieu et l’époque. » (Extrait du rapport du CNIS).
La vision des institutions
Parallèlement à ce travail à caractère scientifique, il fallait bien être capable de dire qui est considéré comme mal-logé par les acteurs chargés d’apporter des solutions. Il faut en effet être capable de désigner qui va bénéficier des mesures d’aide au logement des personnes reconnues comme mal-logées.
Proclamé avec la loi Quilliot (1982) qui fait du droit à l’habitation un droit fondamental et consacré quelques années plus tard par la loi Besson de 1990 (« Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation »), le droit au logement est tenu en échec. Le Plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) est le cadre institutionnel de définition et d’harmonisation des initiatives en direction du logement des familles en situation précaire.La loi du 31 mai 1990 l’a rendu obligatoire, ainsi que la création d’un Fonds de Solidarité pour le Logement (FSL).
La loi DALO du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable fixe à l’Etat une obligation de résultats et non plus seulement de moyens.
Ainsi, le législateur de son côté a apporté son appréciation des situations de logement inacceptables au travers de la loi DALO :
- ne pas avoir reçu de proposition de logement adaptée à sa demande de logement social dans un délai dit « anormalement long » et fixé par arrêté préfectoral à 4 ans pour les Hauts de Seine (10 ans pour Paris et 3 ans pour les autres départements d’ile-de-France)
- être dépourvue de logement,
- être menacée d’expulsion sans solution de relogement en perspective,
- être logée dans des locaux impropres à l’habitation, ou présentant un caractère insalubre ou dangereux,
- être hébergée dans une structure d’hébergement de façon continue depuis plus de 6 mois ou logée dans un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence-hôtelière à vocation sociale depuis plus de 18 mois,
- être logée dans des locaux non décents, si la personne est elle-même handicapée ou s’il y a au moins une personne mineure ou handicapée à charge,
- être logée dans des locaux suroccupés, si la personne est elle-même handicapée ou s’il y a au moins une personne mineure ou handicapée à charge,
- ainsi que toute personne demandant un accueil en structure d’hébergement, un logement-foyer ou une résidence-hôtelière à vocation sociale.
Comme le dit le PDALPD du 92, « une concordance entre les publics visés par la loi DALO et ceux du PDALPD est perceptible, par exemple pour les situations d’expulsion, de locaux impropres à l’habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux, ou pour les personnes dépourvues de logement. Mais s’ils se recoupent partiellement, pour autant, les publics ne sont pas tout à fait identiques. En effet, dans les Hauts-de-Seine, contrairement à la pratique d’autres départements, les personnes dont le relogement est reconnu prioritaire et urgent au titre du DALO ne sont pas comptabilisées automatiquement dans les relogements au titre des accords collectifs départementaux (ACD). Par exemple, la condition de délai anormalement long d’un logement social n’est pas un critère d’inscription au Plan, alors qu’il s’agit d’un motif de recours DALO etc..
Les dimensions du mal-logement
Les dimensions, aujourd’hui constitutives du mal-logement, retenues par la Fondation Abbé-Pierre reposent sur cinq dimensions :
- l’absence de logement personnel (1),
- les difficultés d’accès au logement (2),
- les mauvaises conditions d’habitat (3),
- les difficultés de maintien dans le logement (4),
- le blocage de la mobilité résidentielle et « l’assignation à résidence » (5).
1 – L’absence de logement personnel
Ceci recouvre des situations nombreuses mais pas forcement facilement mesurables :
Sont rassemblées ici les données concernant :
- les personnes sans-domicile soit contraintes de vivre à la rue soit hébergées dans des dispositifs d’urgence (CHU, Chambres d’hôtels..)
- les personnes en hébergement et habitat temporaire (CHRS, résidences sociales..)
- personnes recourant à des formes d’habitat atypiques (chambres d’hôtels occupées de façon permanente, meublés et garnis, chambres indépendantes, habitations de fortune, constructions provisoires, squats ),
- les personnes hébergées chez des tiers
2 – Les difficultés d’accès au logement
Elles apparaissent quand les ménages souhaitent accéder à un logement et se trouvent confrontés au marché et ne peuvent y accéder en raison du prix du logement. En effet la nécessité de ressources pour couvrir le loyer, exigée par les bailleurs privés, ou la nécessité d’un reste à vivre minimum, estimée par des bailleurs publics, leur rend l’accès au logement impossible. Même des personnes reconnues prioritaires par le DALO sont amenées à refuser l’offre faute de ressources suffisantes.
L’accès au parc locatif social se révèle difficile d’autant plus que les logements sociaux construits ne sont pas toujours accessibles aux plus pauvres (très peu de PLAI). Ceci se «mesure » en observant :
- l’évolution de la demande de logement social
- la mise en œuvre du Droit au logement opposable,
- l’activité des dispositifs d’aide à l’accès et au maintien : Fonds de solidarité pour le logement, Loca-Pass, Garantie des risques locatifs.
.
3 – Les difficultés liées aux mauvaises conditions d’habitat
L’amélioration continue des conditions de confort des logements rend de moins en moins pertinent le recours aux données permettant de rendre compte du confort sanitaire des logements. L’analyse du surpeuplement demeure par contre intéressante. Dans un contexte où les normes évoluent pour décrire plus précisément la qualité du parc immobilier (et où les politiques intègrent de nouvelles priorités : lutte contre l’habitat indigne ou plus récemment contre la précarité énergétique), le rassemblement des données qui qualifient ces situations s’avère particulièrement difficile.
4 – Les difficultés de maintien dans le logement
Accéder à un logement ne résout pas tous les problèmes comme on peut le mesurer à travers les difficultés qu’éprouvent de très nombreux ménages pour faire face à leurs dépenses de logement dans un contexte où celles-ci progressent de façon continue et représentent une part croissante du budget des ménages.
Ces difficultés de maintien dans le logement peuvent être évaluées à partir des données concernant les taux d’effort des ménages qui peuvent être connus par la CAF en cas de perception des aides au logement.
D’autres indicateurs peuvent révéler ces situations :
- les impayés dans le secteur locatif comme en accession à la propriété,
- les expulsions locatives,
- les dispositifs publics d’aide au maintien (FSL, Loca-Pass, GRL…).
5 – Les difficultés liées à des perspectives limitées de mobilité pour certains ménages voire à leur assignation à résidence.
Il s’agit là d’une dimension émergente du mal-logement et pourtant essentielle notamment parce qu’elle permet de faire le lien avec les processus de ségrégation et de spécialisation sociales de certains quartiers.
Ceci se traduit par un tableau de bord élaboré par la Fondation Abbé-Pierre
au plan national distinguant les personnes connaissant une problématique forte de mal-logement et celles en situation de réelle fragilité à court ou moyen terme , comme en témoigne le tableau pour l’année 2015.
La démarche de l’Observatoire
L’Observatoire de la précarité et du mal-logement des Hauts de Seine reprend dans ses grandes dimensions et dans ses principes la démarche de la FAP avec une particularité : fournir des données sur la situation du mal-logement dans chaque commune des Hauts-de-Seine…
On retrouve l’idée de produire chaque année un état des lieux réactualisé et de s’appuyer sur les données existantes au sens où l’OPML92 ne va pas élaborer un outil statistique propre mais utiliser, d’une manière pragmatique, des informations déjà produites ou qu’il est facile de produire.
Il ne pourra ainsi pas réellement remplir les cases d’un tableau de bord se prétendant exhaustif mais restituer sur chaque dimension les informations mobilisables des différents acteurs. En effet les sources statistiques existantes sont largement insuffisantes pour disposer au niveau de la commune des données nécessaires.
L’observatoire se mobilisera néanmoins pour que les sources exploitables à un niveau communal le soient et élargir l’accès aux informations statistiques souvent réservées à des spécialistes.
La vision habituelle du mal-logement est axée sur des représentations classiques (sans domicile, logement indigne..) mais les dimensions évoquées plus haut sont plus larges et ouvrent sur la situation de personnes que l’on pourrait dire en précarité de logement.
L’observatoire a fait le choix de lier mal-logement et pauvreté et de prendre ainsi en compte les caractéristiques sociales du ménage.
Ceci est d’autant plus important que la connaissance des populations en mal-logement se fait au travers de processus administratifs ou de gestion (demandes au SIAO, démarches auprès des CCAS ou EDAS, procédures d’expulsions…) c’est-à-dire des fichiers de demande qui ne portent que sur une partie des situations les plus urgentes. Beaucoup n’exprimeront pas de demandes faute de connaissance des dispositifs, faute d’espoir que la demande aboutisse ou encore par absence de droits.
Le défi de l’OPML92 est de pouvoir collecter, au niveau de chaque commune, suffisamment d’informations pour éclairer la situation du mal-logement.
Ses premières investigations montrent que, dans les faits, de nombreux acteurs possèdent (et produisent) une vue partielle du problème (population concernée, définitions utilisées…).
Le travail de l’OPML92 consiste donc à :
- les identifier, à bien qualifier la qualité de ces données (analyse critique) et à les collecter,
- organiser leur présentation (comparaison, évolution..) de manière à pouvoir en tirer des enseignements,
- en déduire quelques points de repères (chiffres-clefs) qui permettent de cerner d’une manière cohérente certains aspects des situations locales du mal-logement.