Une récente étude du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), présente des “budgets de référence” calculés pour le milieu rural, la ville moyenne et la métropole du Grand Paris.

La démarche sur laquelle s’appuie ce rapport[1] fondée sur une consultation citoyenne fait suite à des travaux antérieurs qui avaient été initiés à l’étranger notamment au Royaume-Uni[2].

Calculés par des citoyens réunis en groupes de consensus sur des territoires témoins[3], avec l’appui d’experts, les budgets de référence constituent un indicateur complémentaire pour orienter les politiques d’inclusion sociale.

Le contexte de vie et le territoire de résidence ont un impact important sur le niveau de budget dont les ménages ont besoin pour vivre convenablement (avoir une vie décente) et la pauvreté monétaire, largement utilisée, n’est pas tout à fait synonyme de pauvreté budgétaire. Cette dernière rend compte des privations relatives aux besoins essentiels mais également de celles relatives à la participation à la vie sociale.

Mais qu’est-ce qu’une vie décente ? Au-delà des seuils de pauvreté, peut-on fixer un “seuil de vie décente”, un niveau de budget à partir duquel une famille n’est plus dans la “survie” et la “peur du lendemain” mais peut “participer de manière effective à la vie sociale” et envisager une “inclusion sociale durable” ? Un panier de biens et services correspondant à l’ensemble des dépenses minimales nécessaires à une famille pour qu’elle ait des conditions de vie décentes, sans privation et permettant de participer à la vie sociale  selon les territoires a été adopté par les groupes de consensus et constitue le budget de référence .

Pour ce nouveau rapport du CNLE, le “seuil de vie décente” se situe à 84 % du niveau de vie médian donc au dessus du seuil officiel de pauvreté monétaire (60 % du revenu médian) mais des variations territoriales liées aux transports, au logement et à la vie sociale existent. Plus précisément, le budget de référence médian des ménages du champ de l’étude[4] est de 87 % du niveau de vie médian en zone rurale (soit 1 564 euros) et de 83 % dans les villes moyennes (soit 1 447 euros) ainsi que dans la métropole du Grand Paris (soit 1 836 euros, pour un niveau de vie mensuel médian de 2 222 euros et un seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian de 1 333 euros). Ces données cachent des écarts importants, essentiellement selon la composition familiale et le statut d’occupation du logement.

 

Qu’y a-t-il dans les budgets de référence ? Les budgets de référence “sont constitués pour plus ou moins les trois quarts de dépenses contraintes ou peu compressibles”, précise le CNLE. “Pour quelques fonctions majeures, telles l’alimentation, l’habillement, la santé, les besoins demeurent très semblables d’une zone à l’autre”. En revanche, les différences entre territoires “vont se manifester là où l’offre de services et les modes de vie sont fortement influencés par le cadre de l’habitat et le style qu’il imprime à la socialisation”.

Ainsi, dans la MGP, les habitants ont des frais de garde et de transport “fortement allégés” par rapport à ceux d’une commune rurale, mais doivent assumer des dépenses de logement et de vie sociale “nettement supérieures” que dans d’autres territoires. La “vie décente” semble plus abordable en ville moyenne, où l’on trouve selon le CNLE “une combinaison optimale du coût du logement, de la disponibilité de services publics et d’équipements collectifs”.

Ainsi, les ménages dont les ressources se situent entre le seuil de pauvreté monétaire et le seuil de niveau de vie décent ne sont pas considérés comme pauvres. Cependant, le niveau modeste de leurs ressources les entraîne régulièrement à faire des choix dans leurs dépenses pour boucler les fins de mois. Dans la MGP, il s’agit des ménages du champ de l’étude dont le revenu est situé entre le seuil de pauvreté monétaire  (1 333 €) et 1 836 €. En tout, “les pauvres et modestes non pauvres” représentent dans l’étude “environ 35 % de la population du champ examiné”.

 

Ces budgets de référence peuvent-ils servir à orienter les politiques sociales ?

Le dernier chapitre du rapport rassemble des points de vue d’observateurs et d’acteurs ayant une expérience de la rencontre avec les populations « modestes non pauvres » pour s’appuyer sur ces budgets de référence pour orienter les politiques sociales. Ils peuvent ainsi aider à :

– concevoir une offre locale de services, santé, vie sociale et culturelle, transports au-delà des aides financières destinées à aider les familles, en partenariat avec la société civile afin de créer les conditions d’une vie plus décente pour toutes les familles quel que soit leur niveau de ressources,

– trouver des marges nouvelles pour la tarification sociale et pour les innovations de l’économie sociale et solidaire dans les fonctions de loisirs, santé, culture et vie sociale,

– développer une formation des travailleurs sociaux qui les aide à mieux comprendre les attentes exprimées par leur public qui ne relèvent pas toutes du minimum vital. Écouter pour aider à mieux vivre et pas seulement survivre.

– renouveler les pratiques d’accompagnement social pour soumettre aux personnes accompagnées lorsque leurs ressources le permettent, des références pour de meilleurs arbitrages. Sans oublier bien sûr de savoir reconnaître une situation d’insuffisance structurelle de ressources lorsque des besoins essentiels pour une vie digne ne sont pas honorés.

 Au-delà de ces suggestions, le CNLE insiste sur deux variables importantes : le fait d’être locataire ou non du parc social et le “coût d’un enfant (jusqu’à l’âge de 14 ans) supplémentaire” qualifié de “sensiblement plus élevé que les calculs conventionnels ne le prévoient”.

 

 

[1]Rapport CNLE 2022 : « LES BUDGETS DE RÉFÉRENCE En milieu rural, en ville moyenne et en Métropole du Grand Paris – Nouvelles pistes pour l’inclusion sociale »

[2]Voir article publié le 9 janvier 2023 par Caroline Megglé pour Localtis

[3]Pour la MGP,  les groupes de consensus ont recruté des participants citoyens représentatifs de tous les milieux sociaux – et non pas uniquement des personnes pauvres – dans le 12ème arrondissement de Paris et la commune de Fontenay-sous-Bois dans le Val-de-Marne.

[4]Champ de l’étude : France métropolitaine, individus vivant dans des ménages « standards » en zone rurale, en ville moyenne ou en Métropole du Grand Paris ayant au plus deux enfants dont au moins un mineur.

Sources des taux : Insee, DGFiP, Cnaf, Cnav, CCMSA, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2016 ; budgets de référence CNLE, revalorisation 2016.