Alors que le covid avait déjà fortement pesé sur le budget alimentaire des ménages pauvres, l’inflation[1] aggrave ce poids et de plus en plus de personnes recourent aux services des banques alimentaires et des épiceries sociales et solidaires.

Deux études récentes menées dans l’ensemble de la France par le réseau des Banques alimentaires et l’Union nationale des groupements des épiceries sociales et solidaires[2] révèlent l’ampleur des besoins et les profils des personnes bénéficiaires.

La croissance du nombre des bénéficiaires des banques alimentaires apparaît dans les résultats de leur enquête : de 820 000 en 2011, ce nombre est passé à 2,4 millions fin 2022, soit trois fois plus de personnes en 10 ans. Et plus 400 000 personnes en moins de deux ans. Quant à l’UGESS, elle note une hausse d’environ 20 % de la fréquentation de ses épiceries.

 

Ce sont des personnes très précaires qui sont accueillies par les banques alimentaires. Ainsi, 94 % vivent sous le seuil de pauvreté et près de la moitié vivent de minima sociaux. Près de la moitié habitent dans un HLM.

C’est la précarisation de l’emploi qui impacte le plus fortement la baisse du pouvoir d’achat. Ainsi 83 % des personnes accueillies sont sans emploi (dont 17 % retraités, 27 % chômeurs, dont 41 % de longue durée, 14 % handicapés ou en longue maladie, ..). Par ailleurs, parmi les 17 % qui ont un emploi, si 60 % ont un CDI et ont une situation stable, 66 % sont en temps partiel et peuvent être qualifiés de travailleurs pauvres, leurs revenus étant le plus souvent insuffisants pour subvenir à leurs besoins alimentaires.

Ainsi, le revenu moyen des personnes accueillies qui ont un emploi est de 1 070€ et celui des personnes sans emploi de 850€, ou pour ces dernières un revenu par UC de 500€. Ces montants ne permettent absolument pas de mener une vie décente.

L’UGEES note que les profils des personnes qui ont recours aux épiceries sociales et solidaires s’élargissent : plus de retraités, d’étudiants et de travailleurs précaires, et la surreprésentation de mineurs de moins de 15 ans (30 % des publics des épiceries pour 17 % de la population).

Face à la baisse du pouvoir d’achat liée à l’inflation[3], le recours à l’aide alimentaire est considéré comme essentiel par 67 % des répondants à l’enquête des banques alimentaires. En atteste la hausse de la fréquentation des banques alimentaires : +6 % depuis 2020 et un passage une ou deux fois par semaine. Les produits de base comme les produits protéinés, les fruits et légumes ou l’huile, sont les plus demandés et les plus chers et ceux dont les prix sont en très forte augmentation. La demande porte également sur les produits d’hygiène et d’entretien et les produits pour bébés.

A côté de la distribution de produits alimentaires et autres, les banques alimentaires répondent à d’autres besoins. Notamment, celui d’apporter aux personnes accueillies un « soutien moral et social » et celui de rompre leur isolement. Ainsi, deux personnes sur trois expriment le besoin d’être accompagnées. Cette proportion atteint même 78 % pour les étrangers et 95 % pour ceux qui sont hébergés par des services sociaux. Cette demande porte principalement sur les démarches administratives (53 %) et les problèmes financiers (53 %).

Par ailleurs, 70 % des répondants disent que la rencontre avec d’autres est leur principale motivation pour venir à la banque. Rompre l’isolement est donc un rôle majeur des associations, d’autant que 40 % des personnes accueillies sont des personnes seules et qu’une personne accueillie sur deux ne reçoit aucune aide de son entourage.

 

Un autre aspect à souligner est l’importance des banques alimentaires et des épiceries sociales dans le domaine de la santé. Si les personnes en situation précaire n’ont pas plus que les autres de problèmes de vue ou dentaires, elles se font moins soigner car la prise en charge de ces problèmes est souvent trop coûteuse pour elles.

Par contre, elles sont les premières à souffrir de problèmes de santé comme le surpoids ou l’obésité, ou de maladies chroniques comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires.

C’est la raison pour laquelle, tant les banques alimentaires que les épiceries se préoccupent de la qualité et de la diversité des produits qu’elles mettent à disposition des personnes qu’elles accueillent afin que l’aide alimentaire contribue à leur équilibre alimentaire. Et dans le réseau des Banques Alimentaires par exemple, la demande en fruits et légumes des personnes accueillies est passée de 7 % en 2014 à 32 % en 2022 et la part des fruits et légumes distribuée est passée de 18 % à 24 % du total des produits distribués.

Cela montre que les personnes accueillies sont sensibilisées à l’équilibre alimentaire. D’ailleurs, parmi les activités proposées par les banques alimentaires, les sorties et ateliers cuisine sont celles qui remportent le plus de succès. Ainsi, aide alimentaire et lien social vont de pair et pour renforcer ce couple, les Banques Alimentaires proposent, avec leurs associations et les CCAS partenaires, dans le cadre du programme de prévention santé «Bons gestes et bonne assiette», des séquences de 4 à 6 ateliers aux thèmes variés tels que la promotion de la santé, des astuces antigaspillages et écoresponsables, des conseils pour «mieux manger à petit budget», les recommandations du Plan National Nutrition Santé 4.

 

Face à l’urgence de répondre aux conséquences de l’inflation sur les besoins essentiels des personnes en situation de précarité, ce n’est que dans les prochains mois qu’une expérimentation du “chèque alimentaire” pour les plus modestes a été annoncée par le ministre de l’Économie le 6 mars. Elle devrait se faire sur une base territoriale, sans doute le département pour être au plus près des consommateurs et des producteurs agricoles. La création de ce chèque fait partie des 149 mesures proposées par la Convention citoyenne pour le climat en 2019 pendant la crise des gilets jaunes. La loi Climat et Résilience de 2021 n’a fait qu’en acter le principe (article 259) et il s’agit aujourd’hui d’en préciser les modalités exactes … sans trop attendre !

En attendant, le ministre a annoncé le « trimestre anti-inflation » du 15 mars au 15 juin qui consiste à demander instamment aux supermarchés de sélectionner une centaine de produits qu’ils devront proposer aux prix les plus bas possibles.

 

[1]L’inflation des produits alimentaires a atteint 14,6 % en février sur un an selon l’INSEE

[2]Etude « Profils »  qui sont les personnes accueillies à l’aide alimentaire ?  Banques Alimentaires Février 2023

et Panorama des épiceries sociales et solidaires de l’UGESS : des difficultés accrues en 2022 entre inflation et augmentation des publics accueillis  UGESS Février 2023.

Les banques alimentaires distribuent l’aide gratuitement et les épiceries sociales et solidaires proposent les denrées entre 10 % à 30 % de leur valeur marchande.

[3]En juin 2022, le réseau des Banques Alimentaires avait mené une étude Flash sur l’impact de l’inflation sur la consommation alimentaire des personnes accueillies par ses partenaires associatifs. Six constats : hausse du budget alimentation pour la moitié des foyers interrogés ; hausse des prix qui affecte davantage les familles avec enfants ; report massif sur les produits moins chers (discount) ; restrictions d’achats également sur les produits non alimentaires, très fortes sur les vêtements et les loisirs ; recours à l’aide alimentaire accru pour huit personnes interrogées sur dix ; accès aux fruits, aux légumes et à la viande privilégié par les personnes accueillies dans les associations d’aide alimentaire.