Mal-logement et précarité dans les Hauts-de-Seine : évolutions 2018-2022
Le département des Hauts-de-Seine est le plus riche de France, en ressources financières et en revenu moyen des ménages. En 2021, le parc immobilier y est constitué de 738 378 résidences principales [1] et de 31 775 résidences secondaires ; 87 % des résidences principales sont des appartements, 12 % des maisons. Si un quart des logements date d’avant 1945, plus de la moitié des logements ont été construits entre 1945 et 1990 et 26 % entre 1990 et 2018. Ces logements sont en moyenne très chers ; le niveau des prix exclut les populations modestes, au moins dans certains de ses territoires ; 24,2 % des logements relèvent du parc social. Des processus variés d’exclusion sociale et spatiale se sont développés dans un grand nombre des 36 communes des Hauts-de-Seine en mobilisant deux leviers :
– le premier levier consiste à développer, surtout dans les territoires les plus pauvres (Vallée Sud Grand Paris et Boucle Nord de Seine), une offre privée d’accession à la propriété de plus en plus chère notamment en raison de la rareté du foncier. En outre la construction de logements dans le parc privé a bénéficié de la dynamique du Grand Paris, notamment à proximité des gares de la nouvelle ligne 15. Tant à l’accession qu’à la location, les prix élevés réservent de fait ces nouveaux logements aux ménages les plus aisés et relèguent les autres populations dans le parc social ou dans le parc ancien dégradé. Le nombre de demandeurs d’un logement social qui n’en habitent pas un est ainsi passé de 71 600 en 2017 à 79 400 en 2022.
– le second levier vise à limiter la croissance du parc social, caractérisé par de grandes disparités entre les 4 territoires du département et à modifier la composition sociale des occupants de ce parc.
Un coup de frein a été mis à l’application de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) votée en 2000. Entre 2018 et 2022, le nombre de logements sociaux agréés est resté très en deçà des objectifs de la loi SRU, fixés à 32 000 par an pour l’Ile de France. Pour le département, l’objectif (4 935) a été réalisé à 56 % mais de manière très inégale selon les territoires : entre 92 % à VSGP et 40 % à GPSO. Entre 2019 et 2022, le nombre annuel moyen de constructions de Logements Locatifs Sociaux (LLS) est resté inférieur aux objectifs de rattrapage de la loi SRU dans le département (40 %) et dans l’ensemble des territoires, en particulier GPSO (123 pour un objectif de 651) et POLD (283 pour un objectif de 1033). Simultanément les disparitions de LLS (ventes, démolitions etc.) sont venues réduire la progression de leur nombre. En conséquence, sur les 21 communes dans lesquelles la proportion de LLS est inférieure à 25 %, quatre seulement ont atteint ce seuil durant la période et près de la moitié des communes du département (17 sur 36) ne respectent donc toujours pas la loi en 2022. D’autres communes appliquent la loi SRU à l’envers en faisant baisser leur part de logements sociaux.
Par ailleurs les programmes de constructions nouvelles de LLS privilégient les PLS au détriment des logements les plus accessibles, et les logements en résidences, écartant les familles les plus modestes.
Ce phénomène d’éviction est renforcé par les opérations de renouvellement urbain. Sous le prétexte de développer une certaine mixité sociale, ce sont des logements sociaux à bas loyers qui sont détruits, remplacés par des logements sociaux aux loyers systématiquement plus élevés. Cela conduit à faire partir les populations les plus modestes et modifie la composition du parc social, surtout dans le long terme lorsque les clauses de garantie de loyer au m2 ne s’appliqueront plus pour les nouveaux locataires.
Pourtant, au regard des plafonds de ressources 2022, plus de 60 % des demandeurs de LLS, en augmentation de 15 000 depuis 2017, pourraient prétendre à un logement PLAI ou à loyers assimilés PLAI, c’est à dire à bas loyer. Or au 1er janvier 2022, les logements PLAI ne représentent que 15 % du parc mis en service depuis 2015 contre la moitié de l’ensemble du parc (PLAI et assimilés PLAI). Cette transformation qualitative du parc social au cours des années récentes aboutit souvent à des augmentations de loyers et contribue aussi à évincer les demandeurs les plus pauvres.
Enfin, la sélection des publics à travers les attributions des logements sociaux permet de contenir l’obligation, prévue par la loi, de favoriser les publics prioritaires. Les objectifs de relogement des publics prioritaires ne sont pas atteints : en 2022, les ménages prioritaires ne représentent que 30 % des 11 357 attributions, les ménages reconnus DALO 23,4 % et les sortants d’hébergement 4,2 %. Dans le territoire POLD, les publics prioritaires représentent seulement la moitié des attributions. La proportion est plus élevée dans BNS avec plus de 2/3 des attributions aux publics prioritaires. De fait, l’accès au parc social est plus difficile pour les plus pauvres : plus les revenus des demandeurs sont faibles, moins ils auront de chances d’accéder à un logement social. La probabilité d’attribution d’un logement social est maximum (12 %) pour les ménages disposant de revenus entre 1 000 et 2 000 € de revenu ; cette proportion n’a que peu évolué de 2018 à 2022.
En termes de précarité et de pauvreté, comment se traduisent ces processus d’exclusion sociale et spatiale ? L’exclusion des populations les plus pauvres vers la grande couronne ou hors d’Ile de France s’est traduite par une gentrification croissante de la petite couronne. C’est particulièrement manifeste dans les Hauts de Seine où le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a diminué de 5 000 entre 2015 et 2020 alors que la population départementale a augmenté de 25 000 habitants. Au sein du département, ce processus a été particulièrement marqué dans huit communes (Asnières-sur-Seine, Bois-Colombes, Boulogne-Billancourt, Châtenay-Malabry, Clamart, Clichy, Colombes, Nanterre). Au contraire, dans d’autres communes, le nombre de personnes pauvres s’est accru, parfois de manière importante, notamment à Gennevilliers. Par ailleurs, malgré l’évolution de la composition de leur population, le taux de pauvreté demeure très élevé à Asnières, Clichy et Colombes, concourant à faire du territoire Boucle Nord de Seine le territoire le plus pauvre du département loin devant les autres.
La situation des populations les plus pauvres, quand elles n’ont pas été conduites à quitter le département, s’est dégradée sous l’impact de la crise sanitaire et de l’inflation. La crise sanitaire a particulièrement touché les jeunes, en particulier les étudiants ainsi que les familles monoparentales et les personnes seules dont la part parmi les foyers CAF à bas revenu s’est accrue.
Au sortir de la crise sanitaire, la baisse du nombre d’allocataires du RSA et le recul du chômage ont été accompagnés d’un accroissement du nombre de travailleurs pauvres. Le nombre d’allocataires de la prime pour l’activité (PPA) a ainsi progressé de plus de 6 % depuis fin 2019, dont 2,7 % au cours de la seule année 2022. Fin 2022, la population couverte par la PPA représente plus d’un dixième de la population de moins de 65 ans.
Enfin l’inflation a considérablement accru la précarité alimentaire et énergétique des ménages les plus modestes le plus souvent locataires et/ou en situation de mal logement et est venue se cumuler avec d’autres difficultés : état de santé précaire, difficultés d’accès aux soins, situation financière dégradée.
[1] Il s’agit des données du recensement INSEE de 2021 : L’INSEE définit une résidence principale comme « un logement occupé de façon habituelle et à titre principal par une ou plusieurs personnes qui constituent un ménage ».